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Dans toutes les maisons, les femmes

Ces textes ont vocation à être entendus plutôt qu'à être lus. 

Je continue à les travailler au fil de la construction des maisons.

Je dis à l’agent de gendarmerie « je n’en peux plus »

« il vient chez moi voir notre enfant »

Je dis « il vient chez moi voir notre enfant quand ça lui chante, il ne prévient jamais »

Je dis « des fois, à la porte quand ça toque j’entends « surpriiiiiiiiise » 

« Visite surprise » qu’il dit

Je dis « je n’en peux plus, notre enfant, c’est un prétexte, il s’en fout de notre enfant »

Je dis « parfois, je n’ouvre pas tout de suite alors il tape,

Il tape à la porte et il crie »

Je dis « il me fait honte avec les voisins, il dit des choses qui me font honte »

Je dis « je ne veux pas que notre enfant entende son père dans cet état

Je ne veux pas que notre enfant entende des choses comme ça sur moi »

Je dis « je n’en peux plus il me fait peur »

Je dis « pour éviter de faire plus de problèmes, j’entrouvre la porte et là à chaque fois,

à chaque fois,

il met son pied, il force, il entre chez moi »

Je dis « la suite je n’en peux plus,

je ne veux pas que notre enfant entende, je ne veux pas qu’il voit ça 

Lui il dit ‘‘fais pas d’histoire’’ et il m’oblige »  

« Notre enfant c’est un prétexte, je n’en peux plus » je dis

« À chaque fois il entre chez moi, il m’oblige et il repart,

sans avoir vu notre enfant »

L’agent de gendarmerie dit « Madame, c’que j’entends là, c’est que Monsieur vous aime beaucoup…

Ce que j’entends là, c’est que Monsieur est encore amoureux de vous…

Et vous madame, vous lui ouvrez ? Pas vrai ?»

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Il ne supporte pas de me savoir dans la maison quand il travaille

et il travaille beaucoup, beaucoup dans la maison

son bureau est dans la maison et la maison est petite

Il dit « les murs ne sont pas épais »

Il dit « t’entendre comme ça, en bas, baaah, ça m’va pas »

Il dit « le fait d’te savoir là, baaah, ça m’va pas, ça m’empêche

le simple fait

que tu sois là

m’empêche »

Il dit « c’est ta présence, c’est ta présence qui m’empêche »

Il dit « ça m’déconcentre, ta présence, là comme ça, à côté de moi, de moi qui travaille.

C’est ta présence qui n’va pas ».

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Il dit « Putain, ou est mon jean ? j’t’avais pas demandé de préparer mes vêtements hier? Mais merde, c’est dingue… tu sers à vraiment rien »

Il dit « Le café est prêt ? Dépêches, putain je suis en retard »

« mais bordel, c’est quoi ce pain de merde ? MEEEEEERDE ! »

Je dis « chut … les enfants dorment encore » « Mais, j’en ai rien à fouuuuuuuutre putain» qu’il dit, « qui c’est qui part bosser tous les jours pour nourrir vos ptites bouches à merde ? »

Les enfants se lèvent

Il dit « Regardez-moi bien là, regardez-moi. C’est la putain de dernière fois que vous me voyez, vous m’entendez?

La putain de dernière fois » Il dit « Je m’en vais me pendre vous m’entendez ? »

Les enfants pleurent

Je dis « arrête chéri tu fais peur aux enfants »

Il dit « Putain, mais vous allez la fermer à la fin, ou sont mes clés bordel, t’as pas vu mes clés ? » Il dit « Ohhh ! J’te parle là !!! »

Je dis « Je les ai rangé au clou, à côté de l’entrée »

Il quitte la pièce, la porte claque.

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Il vient de terminer son petit déjeuner et, je ne suis pas malade mais...

Comme tous les jours depuis des mois, il dit « on y va »

Je passe devant, je marche d’un pas lent, il me suit de près

Comme tous les jours depuis des mois, j’entre dans la salle de bain et...

Et comme tous les jours depuis des mois, il dit « déshabille-toi »

J’enlève ma robe de chambre et…

Et comme tous les jours depuis des mois, il dit « assieds-toi »

Je tire la chaise de contre le mur, je m’assois face au miroir

Comme tous les jours depuis des mois, la tondeuse est branchée, il la prend et...

Comme tous les jours depuis des mois, il s’installe dans mon dos,

Il est debout face au miroir et... Je ne suis pas malade mais... Comme tous les jours depuis des mois, il...

Il me tond

Il me tond avec application les quelques millimètres de cheveux poussés pendant la nuit

Comme tous les jours depuis des mois, il pose la tondeuse et dit « regarde-toi »

Il quitte la salle bain et...

Comme tous les jours depuis des mois, dans le miroir,

je ne suis pas malade mais...

Je me vois

Comme tous les jours depuis des mois, je me relève, je débranche la tondeuse, je repousse la chaise contre le mur et j’entre dans la douche.

 

 

 

 

 

Je dis « oooohhh meeeeeerde…. » Il est 10 h du matin, le thermomètre affiche 39°8

Je dis « 40 de fièvre, rhooo, j’en étais sûre… Je vais appeler le médecin »

Il dit « oh! Tu rigoles là ou quoi? C’est l’anniversaire de mamie et c’est peut-être son dernier »

Il dit « oooh, tu m’entends là ?

Ma

grand-mère

Y’a pas moyen

que tu viennes pas. Allez, je charge le p’tit et on y va »

Je m’affale sur le canapé

Je dis « euh… Ecoute euhh... Allez-y sans moi, là vraiment, j’suis pas en état »

Notre enfant vient vers moi, il m’embrasse, je l’enlasse 

Je dis « Tuuuu, tu t’excusera auprès de tout le monde », lui, il dit « ok » « bien »

Il attrape une chaussure, une chaussure de chantier, une de celles qui sont coquées

La chaussure il la lance, il la lance la chaussure, de toutes ses forces il la lance.

Je vois la chaussure coquée arriver

A peine le temps de dire « héée! »

je ne me protège pas, je cache mon enfant dans mes bras

La chaussure coquée m’explose le visage

Je dis « Mééé… »

Lui, Il fonce sur moi, Il m’arrache notre enfant des bras

Notre enfant crie

Lui, il crie aussi « Parfait, c’est comme ça, tu me fais ça, tu me fais ça à moi? », il dit « Très bien, parfait, très bien »

Il brandit notre enfant, il dit « regarde bien ton fils, tu le vois là? »

Notre enfant crie

Il dit « tu le vois là??? Profites-en bien parce que c’est la dernière fois »

Il dit « Tu m’entends là?

Tu ne le reverras plus »

Notre enfant crie toujours

Je ne dis rien

La porte claque.

 

 

 

 

 

La famille chez moi c’est important

Du côté de mon père surtout, c’est important

On est nombreux dans la famille

Du côté de mon père on vient tous du même endroit,

et même si on est parti vivre ailleurs

on se revoit souvent

parce qu’on revient souvent

C’est pour voir les cousins qu’on revient

J’ai un peu d’écart avec les cousins

C’est moi la p’tite dernière

Tous les 4 on est proches,

même, on est très proches, plus qu’avec les cousines

Vu que j’suis la plus p’tite, pis vu que j’suis une fille, les cousins ils disent

« t’as des choses à prouver »

Alors ils m’font faire des trucs, des sortes de tests.

Boire du pipi et d’autres choses,

c’est dégoûtant mais c’est marrant

Maman elle dit « c’est pour jouer »,

elle dit aussi « si t’es pas contente, arrête de traîner avec eux »,

mais moi j’dis « non », les cousins le plus souvent je les aime bien

Avec les cousines c’est moins drôle

Avec les cousins, derrière la colline du jardin, on a une cabane, c’est notre cabane à nous,

Là-bas, on fait des trucs, toutes sortes de trucs, boire du pipi et d’autres choses,

c’est dégoûtant

C’est l’grand cousin surtout,

c’est l’grand cousin qui m’ fait faire des trucs

Le grand cousin y’m’fait des trucs, il dit « on fait l’amour » et là les autres cousins ils regardent,

Moi j’aime pas ça, c’est dégoûtant,

il monte sur moi, il s’énerve, et ça fait mal

Parfois ils le font tous, moi j’aime pas ça, c’est dégoûtant et ça fait mal

J’ai peur que maman soit fâchée

mais maman elle dit « c’est pour jouer »

elle dit aussi « si t’es pas contente, arrête de traîner avec eux »

mais moi j’dis « non »

les cousins le plus souvent, je les aime bien.

 

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Ca vibre dans ma poche

C’est un message de mon opérateur

« une publicité » je m’dis

Je lis «  Le mot de passe de votre compte vient d’être modifié, il est strictement personnel et ne doit jamais être communiqué »

Je m’dit « meerde… il va jamais s’arrêter de me pourrir la vie celui là… »

Ca vibre à nouveau

Je lis « nous avons bien pris en compte votre demande de résiliation. Vous recevrez une confirmation sous 48h

Je m’dis «  meeeerde, mais c’est pas vrai… »

L’offre était alléchante : deux portables et deux forfaits pour le prix d’un, la boxe en prime, le tout

au nom de Monsieur !

J’appelle le service client, j’entends

« Bonsoir et bienvenue, pour connaître le tarif de cet appel et les autres mentions légales, dites tarif »

Je pense à mes enfants, ils sont loin, ils vont paniquer si ils n’arrivent plus à me joindre

J’entends « Votre appel concerne le 0614714205 oui ou non ? »

Je dis « oui »

J’entends «  Votre appel concerne le 0614714205 oui ou non ? »

Je redis « oui », plus fort

J’entends « je n’ai pas entendu votre réponse. Pour une meilleure prise en charge de votre appel, merci de saisir à l’aide des touches de votre téléphone les 10 chiffres du numéro concerné par la demande et terminer par la touche #, si vous n’êtes pas encore abonnée, appuyez sur la touche étoile située en bas et à gauche de votre clavier »

Je suis planquée en pleine cambrousse, mon seule moyen de communication c’est mon portable

Je tape les 10 chiffres de mon numéro de téléphone, je tremble, je fini par étoile, je dis « Meeeeerdeuuu! »

J’entends « Attention, vous avez composé le étoile, le numéro saisi est incomplet. A l’aide des touches de votre téléphone, veuillez saisir les 10 chiffres de votre numéro de ligne et terminez par la touche # »

Et si l’autre me retrouve… j’pourrais même pas appeler les flics…

Je recommence, je tape les 10 chiffres de mon numéro de téléphone, les larmes brouille légèrement ma vue, je me concentre, je termine par la touche #

J’entends « Votre assistant vocal vous accompagne. Exprimez simplement le motif de votre appel, c’est à vous ! »

Je dis «  euh… mon, euh.. mon ex conjoint, il euh… meeerdeuuuuuu » j’entends

« je n’ai pas compris, attention, un environnement bruyant ou l’utilisation du haut parleur peut gêner notre dialogue, merci de formuler par une phrase simple la raison de votre appel. Voici quelques exemples : Je veux changer d’offre, mon téléphone ne fonctionne plus, c’est à vous !

Je panique, je dis «  Mon conjoint euh mon ex conjoint veut faire couper ma… »

La voix me coupe, j’entend « Je ne parviens pas à vous comprendre, je vous propose de réessayer :

Si vous appelez pour des question concernant vos offres, contrats ou factures, dite service commercial

Si vous appelez pour une panne ou une assistance technique sur votre ligne internet, dite internet

Si vous appelez pour une panne ou une aide à l’utilisation de votre mobile, dite mobile

Je tremble, je dis « mobile »

J’entends « Toutes vos questions ont des réponses sur notre site internet, connectez-vous sur www… Je n’écoute plus, je fond en larmes

J’entends « dans le cadre de notre démarches qualité, cet appel est susceptible d’être enregistré, un conseiller va vous répondre dans

moins de 2 minutes »

Je souffle, je me calme, je respire, je tremble encore

J’entends « Bonsoir, je suis votre conseiller, que puis je faire pour vous ?

Je dis « Bonsoir, euh…

J’avale un sanglot, ma voix tremble

Je dis « euh… pardon, je… » le conseiller dit « je vous écoute »

Je dis «  euh… mon conjoint, euh, nan, mon ex conjoint, il euh… je crois qu’il est entrain de couper ma ligne, j’ai reçu plusieurs texto et…

Le conseiller me coupe «  votre numéro Madame s’il vous plait »

Je dis « 06 14 71 42 05 »

J’entends « hummmmmm. Oui. Et vous êtes ?

Je décline mon identité 

J’entends «  hum… ah. en effet … A vrai direeuhh… jeuuuuu… je ne peux pas vous répondre ni faire grand chose pour vous dans la mesure ouuuu, ou le titulaire aaaaa, le titulaire a fait une demande de fermeture de ligne pour euhhh, pour cause deuu… de votre décès Madame. La clôture du compte sera effective d’ici à 48h et le numéro 06 14 71 42 05 sera définitivement perdu. Voilà. J’espère au moins avoir pu vous renseigner mais le mieux serait de voir ça directement avec Monsieur. Je vous souhaites une bonne soirée Madame.

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Dix heure zéro zéro

La porte s’ouvre sur un très grand bureau

L’homme dit « Bon… Entrez »

Il m’indique un siège, je m’assois, il s’assoit face à moi

J’me dit, Il n’a pas l’air méchant, il est même souriant

Il me regarde, il dit 

« Bon »

puis se tait. 

Il dit « Bien. 

L’audience est reportée! L’audience est reportée car ce matin, monsieur ne c’est pas présenté. »

Je souffle un « ça ne m’étonne pas » que l’homme ne relève pas

Il dit « Bon, on peut tout de même discuter !

Bien! C’est une affaire euh... particulière. Devant moi, vous le savez, j’ai deux dossiers. Dans l’un, vous êtes victime, dans l’autre vous êtes autrice. Je dis autrice puisqu’aujourd’hui, n’est-ce pas, il faut féminiser... »

Je ne suis pas sûr de comprendre 

Je dis « Oui mais enfin non…  je… enfin… vous voulez dire que je suis …accusée ? »

Il tapote les dossiers

Il semble soudain un peu agacé

« Madame ! Qu’il dit M’avez vous écouté? Moi ce que j’ai, c’est deux dossiers. »

Il en ouvre un, le feuillette rapidement, le referme aussi sec. « Dans l’un vous êtes victime, bon. Il réouvre le dossier 

Victime de… harcèlement téléphonique et ce, de la part de monsieur c’est bien ça?  »

Je dis « Oui mais euh… » Il ne me laisse pas finir

Il dit « Dans l’autre euh… » il ouvre le second dossier, « vous êtes euh… Mise en cause pour des faits de violence physique et ce, à l’égard de monsieur. Bon. C’est bien ça? »

Je bafouille « Non, enfin, je je ne sais pas, oui, je… c’est vrai que la dernière je l’ai giflé mais… »

Il dit « Bon. Madame, j’ai une question pour vous. La violence est-elle la solution à la violence ? »

Je continue a bafouiller, « Je dis non enfin bien sûr non, mais euh… » Il ne me laisse pas finir

Il dit « Bien, bon. En effet. Non! La violence n’a jamais été la solution à la violence ! » Il dit, bon, continuez, j’vous ai coupé. »

Je dis… « Euh… et bien oui, c’est vrai, je l’ai giflé mais… à ce moment là il était en train de me faire une clé de bras, une clé de bras du bras droit, alors moi je l’ai giflé, je l’ai giflé de la main gauche, je l’ai giflé pour qu’il me lâche. »

Il ne dit rien, il me regarde

« Bon, madame. J’entends bien ce que vous m’dites. Mais là moi, je n’ai rien de tout ça dans mes dossiers.» Il se tait, il me regarde toujours. 

Je ne sais pas quoi dire, j’ai l’impression que je dois me justifier. 

« Je dis bah je ne sais pas moi, j’ai… j’ai porté plainte plusieurs fois, ça n’a rien fait jamais. Une fois quand il m’avait étranglé devant notre bébé, et la fois d’après quand il m’avait empoigné par les cheveux et m’avait trainé dans les escaliers. Mais à chaque fois mes plaintes, ça n’a rien fait. »

Je le vois qui souffle, je ne sais pas si il est ennuyé ou agacé

Il me regarde toujours

Il dit « Bon, moi, je veux bien vous croire sur parole madame. mais ça n’y changerait rien. Vous pourriez me dire ce que vous voulez,  moi je n’ai rien, rien de ce que vous me racontez dans ces deux dossiers. Bon. bien. Et moi comprenez, je suis là pour juger, pour juger de ce qu’il y a dans ces deux dossiers »

Je le coupe, je dis « Pardon mais, j'ai cru mourir, plusieurs fois j’ai cru mourir, cette fois là ou je l’ai giflé, j’ai juste réussi a réagir… »

Il dit « Je suis désolé, je ne peux juger que sur les dossiers. Et madame, au vu de ce que j’ai là, vous aurez plus qu’un simple rappel à la loi. 

Bon, en attendant je vais devoir reconvoquer monsieur, et nous nous nous revoyons dans un mois. »

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